Hugo Chavez a souvent été dépeint comme ayant connu une dérive autoritaire, voir même comme un dictateur. Mais ses détracteurs se trouvent être également d’ardents défenseurs de l’idéologie libérale[1], vraisemblablement plus effrayés par son opposition au système capitaliste que par ses prétendues atteintes aux droits de l’homme. Sans être le système parfait – existe-t-il ? – le Venezuela est tout à fait démocratique. En quelques matières pourrions nous peut-être lui donner des leçons (liberté de la presse), mais tout aussi vraisemblablement pourrait-il nous en donner en d’autres (démocratie participative, référendums d’initiatives populaires par exemple)
Le Venezuela a connu 15 élections nationales en 13 ans de présidence d’Hugo Chavez, toutes reconnues libres et sincères par la communauté internationale (UE, USA, ONU notamment).
Notons tout d’abord que si les « vrais » dictateurs se livrent parfois à des simulacres d’élections, ils évitent de multiplier l’exercice sans raison. Au Venezuela, il y’a eu plus d’une
élection par an ! Notons également que l’une d’elle, le référendum constitutionnel de 2007 fut perdu par Hugo Chavez. Là encore, les « vrais » dictateurs évitent en général de
perdre un référendum augmentant leurs pouvoirs.[2].
Mais surtout, si le parti d’Hugo Chavez a remporté l’immense majorité des élections nationales, il n’en va pas de même des élections locales. Le Venezuela est un état fédéral, où les états régionaux ont donc des prérogatives non-négligeables. Or aux élections régionales de 2012, l’opposition a remporté 3 des 23 états du Venezuela ; et le candidat malheureux de l’opposition à l’élection présidentielle Henrike Capriles a lui-même conservé son fauteuil de gouverneur de l’Etat du Miranda. Là encore, dans les « vrais » dictatures, le chef de l’opposition est rarement gouverneur régional.
L’assemblée constituante
Un thème majeur de la campagne présidentielle de 1998 pour Hugo Chavez fut la convocation d’une assemblée constituante, destinée à jeter les bases de la « Révolution Bolivarienne ».
La nouvelle constitution a ainsi été débattue dans tous le pays, a fait l’objet d’un référendum, très largement approuvé (74%). Elle est bien connue des vénézuéliens, la plupart en possédant un exemplaire.
L’assemblée constituante a ainsi été la base d’une volonté d’inscrire un processus révolutionnaire par les urnes, ce qu’en France, le Front de Gauche appelle « révolution citoyenne ».
La démocratie participative
Le Venezuela est un des pays où la démocratie participative est la plus aboutie. Les « conseils municipaux », assemblées de démocratie participative y disposent non seulement d’un budget autonome, mais surtout de la possibilité de s’opposer aux projets des échelons supérieurs (commune, état régional, gouvernement fédéral par exemple).
La démocratie participative se joue également à échelon extrêmement bas de la population, puisqu’un conseil municipal de démocratie participative concerne 200 familles en zone urbaine, 50 familles en zone rurale, 15 familles en zone indigène.
Les référendums d’initiative populaire
La constitution bolivarienne du Venezuela instaurée par Hugo Chavez prévoit deux référendums d’initiatives populaires :
Le référendum révocatoire : A l’initiative de 20% du corps électoral concerné, un référendum peut être organisé pour révoquer tout élu ou fonctionnaire (maire, administrateur public, gouverneur, député ou même le président de la république) à mi-mandat. A noter que cette procédure a été utilisée par l’opposition et qu’un référendum révocatoire a eu lieu contre Chavez en 2004, remporté par celui-ci avec 54% des voix (sous surveillance internationale et reconnu par l’opposition).
Le référendum abrogatif : A l’initiative d’au moins 10% des électeurs, un référendum peut être organisé pour demander l’abrogation d’une loi.
Si le référendum d’initiative partagé est en cours d’approbation en France, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, ses conditions en sont bien plus drastiques qu’au Venezuela.[3]
Les atteintes du gouvernement Vénézuélien à la liberté de
la presse sont régulièrement dénoncées, il convient d’y revenir en détail.
D’abord, précisons que selon Reporter Sans Frontière, le Venezuela se classe 117ème sur 179 pays avec une note de 34.44. Parmi ses « voisins » au classement RSF, on retrouve ainsi Israël (112ème note de 32.97) et le Brésil, (108ème, note de 32.75). A noter que le seul pays classé « rouge » en Amérique Latine par RSF est le grand allié des USA dans la région, la Colombie (129ème, note de 37.48 et encore a-t-il gagné 14 places en 2012. il était auparavant 143ème). Selon RSF, si la situation n’est pas idéale au Venezuela, elle est loin de relever de la dictature, ou alors faudrait-il considérer également Israël, et l’ensemble des pays d’Amérique Latine ayant à peu près le même classement RSF comme des dictatures.
Mais venons-en aux faits. Hugo Chavez est accusé d’abuser des chaînes d’Etat pour sa propagande. Il faut savoir que seulement 10% des chaînes radios et 12% des chaînes TV sont publiques, ce qui laisse une grande liberté de choix aux citoyens. Près de 300 radios et 30 chaînes TVs privées se sont ainsi crées entre 1998 et 2010.
Il est néanmoins exact que le gouvernement d’Hugo Chavez a retiré l’agrément hertzien de la RCTV plus grande chaîne privée nationale en 2007 (la chaîne continue d’émettre sur le câble et le satellite). Il faut cependant dire que la RCTV, comme d’autres médias privés tel son concurrent privé Globovision qui émet toujours a directement participé au coup d’état de 2002. Au-delà de cet événement majeur, la presse d’opposition vénézuélienne a un ton bien plus belliqueux, voir diffamatoire et insultant envers le gouvernement qu’en France. Comment aurait-on réagit en France si sur TF1, PPDA avait appelé au 20h00 l’armée à renverser le gouvernement démocratiquement élu ?
Alors sans doute n’accepterions nous pas en France les batailles judiciaires du gouvernement vénézuélien contre sa presse privée. Mais de même, nous n’accepterions pas en France l’extrême violence de la presse privée vénézuélienne contre le gouvernement, une violence qui n’existe pas, même dans un journal comme l’Humanité quand Nicolas Sarkozy était le président. Quant aux chaînes TVs d’opposition, rappelons qu’elles n’existent tout simplement pas en France. Si la presse d’opposition était aussi virulente en France qu’elle l’est au Venezuela, est-on sûr que les réponses ne seraient pas du même ordre.
Rappelons donc que la France n’est pas parfaite en la matière. Si RSF la classe au 37ème rang mondial, les limogeages de PPDA ou d’Alain Genestar par Nicolas Sarkozy ne sont pas des faits de gloires de la France. On peut aussi parler du procès en diffamation de Cahuzac contre Médiapart, de l’affaire des fadettes du Monde …
Le culte de la personnalité.
Hugo Chavez est aussi accusé de tomber dans le culte de la personnalité, la médiatisation à outrance, notamment avec ses discours fleuves à la télévision.
Oui, pour ce que j’ai pu en voir personnellement, je trouve excessif le culte de la personnalité dont font l’objet les différents leaders de la gauche bolivarienne en Amérique du Sud, Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie, Correa en Equateur. Oui, on peut y voir le ferment d’une dérive autoritaire, ne serait tout ce que j’ai écris plus haut visant à démontrer le contraire.
Mais quant on voit l’idolâtrie dont peuvent également faire preuve certains concernant Nicolas Sarkozy, dont l’apport à la nation française a été bien moindre qu’Hugo Chavez au Venezuela, on peut se dire que ce travers est international dès lors qu’un homme politique semble sortir du lot.
L’usage des médias.
Sans doute Hugo Chavez a-t-il quelque peu abusé de sa stature de président de la république pour avoir un accès aux médias supérieurs à ses rivaux lors de la pré-campagne présidentielle de 2012. Néanmoins, il faut également dire qu’il a temporairement renoncé à ses fonctions de président au moment de l’ouverture de la campagne officielle, confiant le pouvoir à son vice-président, poste créé pour l’occasion. Durant cette période de campagne officielle, il n’a, de fait, pas abusé de sa stature présidentielle.
En France, Nicolas Sarkozy a également multiplié les voyages présidentiels durant la pré-campagne. Peut-être un peu moins qu’Hugo Chavez, mais il a quant à lui continué durant la campagne officielle. Ses comptes de campagnes sont ainsi sérieusement mis en cause (ils ont été rejetés, mais il a fait appel, ce qui suspend la décision) pour un tel mélange des genres. Pour l’anecdote, le Canard Enchaîné de cette semaine relate qu’alors ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy faisait venir de faux journalistes avec fausses caméras à ses interviews pour donner l’impression que toute la presse s’intéressait à lui et se donner la stature d’un présidentiable.
Si on ne peut pas féliciter Hugo Chavez pour son non-usage des médias en tant que président, on ne peut guère lui jeter la première pierre non plus.
Le péché originel d’Hugo Chavez, qui
démontrerait son penchant autoritaire serait son coup d’état raté de 1992 contre le gouvernement Pérez. Or, c’est tout l’inverse. Le fondement de la légitimité démocratique et de la popularité du
« Commandante Chavez » est justement d’avoir tenté de renverser le gouvernement Pérez. Explications :
Le Caracos
En 1989, le Venezuela est dirigé par un président de gauche, membre de l’internationale socialiste (tout comme le PS Français, le PS grec de Papandréou, ou bien la dictature Ben Ali par exemple, soit dit-en passant). Il fait alors face à une crise économique majeure à laquelle le président répond par une politique ultra-libérale, sur les conseils « avisés » du FMI.
Il s’ensuit un fort mouvement de protestation, au départ manifestations étudiantes qui sont rapidement rejoints par une immense partie de la population, les syndicats appelant à la grève générale. Même la police se joint au mouvement de protestation. Le gouvernement décrète alors l’état d’urgence et envoie l’armée rétablir l’ordre.
Celle-ci le fera à balle réelle dans les rues de Caracas. Les chiffres officiels parleront de 300 morts, mais des charniers découverts plus tard feront monter le nombre à environs 3 000 selon l’opposition !
Le putch de 1992
Hugo Chavez et d’autres officiers de l’armée vénézuélienne refusent d’avoir à nouveau à réprimer leur peuple par la force. Trois ans plus tard, ils organiseront un coup d’état, qui échouera. Il est à noter qu’à cette tentative de coup d’état participeront des civils et notamment des étudiants.
Les officiers qui arrêtent Chavez lui avoueront alors comprendre son geste même s’ils se refusent à le suivre. Ils lui permettront néanmoins de parler en direct à la télévision pour appeler ses partisans à se rendre, en uniforme et non-menotté. Hugo Chavez termine en disant « pour l’instant », ce qui forgera sa légende.
En s’engageant à poursuivre son combat, il devient alors une icône populaire.
L’élection de Caldera en 1994 et la grâce en 1996.
Le putchiste Chavez est alors considéré par le peuple vénézuelien comme engagé pour sa liberté, tant est si bien que le rival du président Pérez aux élections de 1994, Caldera fera de la grâce d’Hugo Chavez une promesse de campagne.
Depuis sa prison, Hugo Chavez alimente la vie politique de ses écrits, et sera finalement gracié en 1996. Il fonde aussitôt un parti politique, qui remportera les élections présidentielles 2 ans plus tard.
Voilà comme le « putch » de Chavez est en réalité la base de son engagement révolutionnaire et de sa popularité.
Si
l’opposition à Hugo Chavez s’est aujourd’hui convertie au jeu démocratique, cela n’a pas toujours été le cas.
En avril 2002, l’opposition organise un coup d’état militaire qui renverse brièvement Hugo Chavez pendant quelques jours. Une immense manifestation populaire, soutenue par une partie de l’armée restée fidèle rétablit Hugo Chavez à son poste. Une partie des médias privés soutiendront directement le coup d’état, notamment la principale chaîne de télévision privée RCTV (interdite de diffusion hertzienne depuis, mais qui continue à émettre sur le câble et le satellite – peine somme toute légère). Les USA reconnaîtront immédiatement le nouveau pouvoir, ce qui fera dire à Hugo Chavez qu’ils l’ont soutenu voir aider matériellement.
A l’hiver 2002, le patronat pétrolier organise un lock-out, bloquant l’approvisionnement en pétrole du Venezuela. Celui-ci est déjoué là encore par l’implication populaire et notamment par les salariés du secteur, qui désobéissent aux ordres de leur hiérarchie et maintiennent en fonctionnement les puits et livrent le gouvernement vénézuélien en pétrole.
En mars 2004, plus d’une centaine de paramilitaires colombiens d’extrême-droite sont arrêtés aux environs de Caracas, avec un arsenal militaire conséquent. Le gouvernement les soupçonne d’une tentative de déstabilisation, venue de Colombie soutenue par les USA, mais aucune preuve ne sera obtenue.
L’opposition vénézuélienne boycottera également les élections législatives suivantes.
L’opposition vénézuélienne joue aujourd’hui le jeu démocratique, mais depuis moins d’une dizaine d’année. Nombre de ces dirigeants actuels ont été impliqués à divers degrés dans la tentative de coup d’état et le lock-out pétrolier de 2002. Le chef actuel de l’opposition, Henrike Capriles a lui-même été accusé d’avoir participé au coup d’état de 2002 avant d’être finalement acquitté.
Hugo Chavez s’est fait connaître
pour son bruyant soutien aux dictatures tel que l’Iran, la Syrie, la Lybie, bref toutes celles s’opposant à l’impérialisme américain, même pour des raisons totalement opposées aux siennes. Quoi
de commun entre le socialisme du XXIème siècle revendiqué par Chavez et la dictature iranienne ?
Il n’y a rien à dire pour défendre cette « realpolitik » à la Vénézuelienne ou l’ennemi de mon ennemi (les USA) est mon ami. Elle est indéfendable.
Je dirais seulement que d’autres démocraties pratiquent également la realpolitik vis-à-vis des dictatures favorisant leurs intérêts géostratégiques. La France de Nicolas Sarkozy a ainsi déroulé le tapis rouge à Bachar Al-Assad, Ben-Ali ou Kadhafi avant que le vent ne tourne. La France de François Hollande n’est guère regardante non plus sur l’allié tchadien au Mali, alors que chacun sait que c’est la répression sanglante des mouvements autonomistes qui rend les « soldats du désert » tchadien si bien entraîné à traquer les jihadistes maliens.
Je critique l’une comme l’autre de ces politiques.
Je n’en ai pas parlé jusqu’ici et pour cause, il n’y en a pas. Il n’y a pas de prisonniers politiques au Venezuela, pas de violations des droits de l’homme par sa police.
Le Venezuela est une démocratie, sans aucun doute. Certes, elle n’est pas une démocratie « apaisée » et sans conflit social. Comment pourrait-elle l’être alors que la dernière répression du peuple par l’armée date d’il y’a 20 ans, que la dernière tentative de coup d’état date d’il y’a 10 ans,?
Il y’a 10 ans, la moitié de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’un quart. Les inégalités sociales se résorbent lentement, mais pas encore totalement. Si, au Venezuela, la « lutte des classes » est bien visible, ce pays est bien une démocratie, aucun doute à ce sujet.
[1] En France, l’hommage à Chavez de M. Lurel, ministre de l’Outre-Mer s’est ainsi vu critiqué par l’UMP et le Medef.
[2] L’exhaustivité m’oblige cependant à préciser qu’un nouveau référendum constitutionnel a eu lieu en 2010, remporté celui-là par Hugo Chavez. On peut critiquer un gouvernement qui fait revoter un résultat électoral qui lui déplait… Mais la remarque s’applique tout autant aux pays européens qui ont revoté quand leurs électeurs ont refusé une plus grande intégration dans l’Europe : Irlande, Pays-Bas, France par exemple. Mais organiser un nouveau référendum comme au Vénézuela est moins critiquable que faire voter un parlement acquis à sa cause comme en France.
[3] La loi française prévoit un référendum d’initiative partagé. Introduit dans la réforme constitutionnelle de 2008 de N. Sarkozy. Le projet de loi organique nécessaire à sa mise en application est en attente de deuxième lecture à l’assemblée nationale. D’initiative « partagé », ce référendum requière 185 députés ou sénateurs sur 925, ce qui de fait en limite l’initiative aux seuls UMP et PS dans la configuration politique française, ainsi que les signatures d’au moins 10% du corps électoral (4 600 000 signatures donc). Néanmoins, le référendum n’a alors lieu que si le parlement n’examine pas le même texte de loi dans les 9 mois. S’il l’examine, le référendum n’a pas lieu. Impossible donc d’organiser dans les faits un référendum contraire à la volonté de l’assemblée nationale.